Avec Light Bird, Luc Petton clôt son oeuvre en trois actes consacrée aux oiseaux. Hier soir à l’Arsenal de Metz, ce fut au tour des grues de Mandchourie d’évoluer sur scène. Présentée comme une interrogation sur « les rapports entre humanité et animalité », cette chorégraphie m’a laissée perplexe.
Pour Luc Petton, le chorégraphe, « on ne croise pas impunément le regard d’une grue sans que quelque chose ne vibre, quelque chose comme une émotion immémoriale ». Eh bien, j’ai eu du mal à ressentir cette émotion comme si paradoxalement, la frontière entre nature et culture s’était accentuée.
Pourtant le début de la pièce m’a séduite: tableau magnifique d’une danseuse évoluant seule sur un sol constitué de peaux qui ondulait selon ses mouvements. Ces derniers, lents et décomposés imitaient sans doute les attitudes des grues. La musique quant à elle composée par Xavier Rosselle, contribuait à créer une atmosphère apaisante et captivante qui soulignait les mouvements de la danseuse-grue. J’ai aussi apprécié le tableau où les danseurs évoluaient avec une tige de bambou, jouant avec l’apesanteur: le temps s’était alors suspendu.
Et puis je suis revenue sur terre à chaque fois que les grues rentraient sur scène. En effet, il m’a été difficile de saisir la symbiose entre les grues et les danseurs. Naturellement élégants et majestueux, ces oiseaux fabuleux de la Mandchourie m’ont semblé rester simple décor. Êtres mouvants certes mais loin d’être danseurs.
Je m’explique. Afin d’évoluer avec les oiseaux, les danseurs devaient régulièrement les appâter avec divers artifices (branches, grelots, objets métalliques et surtout nourriture), ce qui m’a paru accentuer leur caractère grégaire, de la même façon dont on apprivoiserait Flipper le dauphin à Coral Key…
Affirmer alors que « la scène devient lieu de coexistence » (Luc Petton) peut prendre tout son sens ici. Exister ensemble simultanément. Mais exister ensemble surtout séparément. Alors que les grues curieuses prenaient une place royale dans l’espace de jeu, les danseurs évoluaient à côté, tentant de les attirer afin de créer des pauses avec elles. Des pauses photographiques: car oui, à un instant T capturé par l’objectif, la symbiose opère (en témoignent les magnifiques photos, qui d’ailleurs m’avaient attirée). Je n’ai pas réussi cependant à retrouver cette harmonie dans l’enchainement de ces instants.
De plus, j’ai eu du mal à choisir entre contempler ces êtres d’une grâce certes peu commune et regarder les danseurs. Pas besoin alors d’utiliser un voile – voile de l’illusion ? – pour cacher le danseur et ainsi laisser place aux oiseaux, car leur exotisme suffit à nous attirer. Espèces menacées d’extinction, les descendants de ces grues élevées par les hommes (car leur taux de reproduction en milieu naturel est relativement faible) feront d’ailleurs l’objet d’un programme de réintroduction.
Ce spectacle n’a donc cessé (et ne cesse) de me questionner. La frontière entre nature et culture n’est pas imperméable mais cette interrogation sur ‘les rapports entre humanité et animalité‘ a montré que c’était l’homme qui dirigeait les mouvements de la nature. Difficile pour moi de saisir à l’inverse la contribution de la nature: offrir au danseur une part d’imprévu ?
24 janvier 2016 at 22 h 30 min
Super analyse ! Le concept a en effet l’air un peu spécial … Je n’ai pas eu l’occasion de pouvoir voir cette oeuvre mais j’en ai beaucoup entendu parler. En tout cas super intéressant ton article ! 🙂
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25 janvier 2016 at 13 h 13 min
Tu as certainement raison d’écrire que le spectacle ne casse pas trois pattes aux grues…
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26 janvier 2016 at 10 h 12 min
Merci pour ce bel article.
Je suis resté tout aussi perplexe sur le caractère artistique de cette rencontre entre danseurs et oiseaux. J’attendais beaucoup de ce spectacle et je crois que je n’y ai pas trouvé la magie que j’y attendais. J’ai beaucoup aimé la partie danse, très bien servie par la musique mais avec l’arrivée des oiseaux, il y a eu comme une gêne qui s’est introduite. Les oiseaux gardaient leur attitude sauvage et danseurs et oiseaux s’ils composaient bien sur scène ne communiaient pas ensemble. Finalement, je trouve que c’est une représentation assez juste du rapport de l’homme avec la nature. Il en a peur, il n’arrive pas à l’apprivoiser assez pour en faire ce qu’il veut et c’est, je trouve, une très belle leçon. Ces oiseaux sont majesteux mais ils ne sont pas danseurs. Enfin, ils ne dansent pas au même rythme que l’homme. Ce spectacle a en tous cas beaucoup de mérites. c’est un beau spectacle et il nous pose de belles questions. Ces grues sont aussi appelées « grues des immortels » et leur couleur noire et blanche avec une tâche rouge est en soi tout un questionnement …
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26 janvier 2016 at 12 h 46 min
Merci cher Jean Cristal pour votre réflexion et cette conclusion: « c’est une représentation assez juste du rapport de l’homme avec la nature. Il en a peur, il n’arrive pas à l’apprivoiser assez pour en faire ce qu’il veut et c’est, je trouve, une très belle leçon. »
… Une leçon qui ne cessera nous questionner !
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27 janvier 2016 at 14 h 20 min
Et bah voilà, on continue à se questionner … et apparaît une jolie vidéo montrant bien à quoi ressemble l’humanité quand elle fait le rapprochement entre ses sciences et ce que lui offre la nature … c’est plein de sens (sans qu’on sache forcément lequel) et d’harmonie …
Et ça peut même inspirer un joli sujet à Ding Ding d’Art … comment la nature a inspiré l’expression artistique avec le très bel exemple de l’art nouveau,… plein de volutes et de motifs floraux …
Jean Cristal
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5 février 2016 at 8 h 55 min
Intéressante cohabitation. Plutôt que de la peur, aurait-on pu y voir du respect d’une espèce pour l’autre?
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